dimanche 22 janvier 2012

Vers un Outreau du médicament et de la santé dans l'affaire du Médiator de Servier ?

La question est certes provocante mais l’affaire du Mediator doit nous servir de prétexte pour nous interroger sur les faits et sur leurs interprétations, qui que nous soyons, tant par souci de vérité que par honnêteté intellectuelle, vertu relativement rare et inégalement partagée de nos jours… Entre les accusations en tout genres, les spéculations des spécialistes, des journalistes honnêtes et d’autres qui le sont un peu moins, les véritables malades et les usurpateurs, les community manager serviles, difficile pour le citoyen de se faire une idée assez claire de cette crise majeure de santé publique (crise qui rappelle, par bien des aspects, la crise du sang contaminé et celle en cours des prothèses PIP).
Ainsi, à relire dans la presse généraliste, les différents articles parus depuis quelques mois, l’analyse ne résiste pas au constat suivant : rien dans cette affaire n’est vraiment justifié. La polémique sur le nombre de victimes potentiels du Mediator est, à ce titre, éloquente. Relisons le Nouvel Observateur paru le 25 novembre 2010 (certes un peu ancien mais précisons que ce type d’article a donné le ton…) et qui n’a cessé de faire des émules chez mes confrères de Libération ou du Figaro : « Croiser ses fichiers internes [ceux de la CNAM] avec les bases de données des hôpitaux : voilà qui a permis à la Cnam d'établir que le risque d'être hospitalisé pour une valvulopathie liée au Mediator était, chaque année, depuis trente ans, de 53 pour 100.000 personnes exposées ; et qu'il y a eu autour de 150 hospitalisations annuelles pour toxicité du Mediator ; et que le Mediator a dû être responsable de 20 morts chaque année depuis sa commercialisation en 1975. Les voilà, les "500 morts" annoncées dans les JT. Le bilan est peut-être bien plus lourd. »
Nos professeurs de français devraient donner plus souvent des articles de presse à analyser et un retour à la maîtrise de la rhétorique et des statistiques serait le bienvenu. Tous les spécialistes des risques et des théories des jeux le confirmeront : un risque, c’est un aléa (d’où des probabilités) plus des enjeux, (de gains ou de perte, par exemple, d’image, de santé, de réputation, de chiffre d’affaires…). Notre journaliste du Nouvel Observateur devrait s’y reprendre à deux fois avant de commettre une telle bévue : comme si une simple multiplication prédictive pouvait répondre aux angoisses d’une société en mal de vérité, même au nom du principe de précaution… La CNAM parle bien de « risque d’être hospitalisé ». Or ce risque repose sur la possibilité d’être hospitalisé pour une valvulopathie, elle-même reposant sur la possibilité que le Mediator soit hypothétiquement responsable d’une vingtaine de morts par an, multipliée par x années, donne un résultat au conditionnel, conditionnel, qui, répété dans tous les médias, repris par le bouche à oreille (réel et virtuel dans les médias sociaux) conduit à un chiffre affolant : 2000 morts ! Même ceux qui devraient faire preuve de discernement, sont pris au piège de la statistique. Ainsi, le 30 novembre 2011 à Toulouse, le sénateur François Autain prononce à l’occasion d’une conférence retranscrite sur le site de Formindep: « Dès qu’ont été rendues publiques les deux études de mortalité qui imputait au Mediator de 500 à 2000 morts, j’ai demandé la création d’une commission d’enquête. » 1500 morts d'écart, une paille ! La probabilité est devenue certitude…
La démonstration a été faite par le professeur Acar lors de son audition devant la commission d’information de l’Assemblée Nationale que l’étude conduite par l’épidémiologiste Catherine Hill souffrait d’un manque de rigueur dans la méthode. Aucun média ne s’est emparé de cette démonstration car il est toujours difficile de reconnaître qu’une rédaction se trompe. De plus, je doute que beaucoup de mes collègues aient lu le rapport de l’Affsaps sur le Mediator. Ils auraient du s’interroger sur le bien fondé de l’attaque en règle contre les laboratoires Servier, sans que ceux-ci ne soient une seule fois interrogée par les rédacteurs, empressés de fournir au ministre de la Santé, Xavier Bertrand, des arguments afin de taire ses décisions coupables d’autorisation de déremboursement du Mediator de 2005... Ce fait aurait du éveiller l’attention. Si nous poursuivons ce raisonnement tronqué, le Doliprane ferait 3000 morts par an. A lire à ce sujet le papier d’un confrère journaliste publié sur Agoravox (les médicaments seraient responsables de 13000 à 30000 morts par an).
Dans le même ordre d’idée, il me paraît redoutable et dangereux de trouver systématiquement des boucs-émissaires. Il est vrai que l’époque est à la pensée précaire, de première main, rapide et 9 fois sur 10 jamais vérifiée. Mon camarade Patrice Bertin en avait fait un délicieux billet sur France Inter le 12 septembre 2011. Nous avons tous trouvé notre Jeanne d’Arc en la personne d’Irène Frachon, -bien récupérée par le Parti Socialiste-, contre la grande méchante entreprise qui fait du mal à ses consommateurs de médicaments. Si l’image est séduisante, elle est réductrice et perverse. Et nous tous journalistes, nous en sommes responsables. Ma consœur du Figaro, Anne Jouan, devrait également se méfier des prises de positions à répétition contre les laboratoires Servier. Au bout d’un moment, cela va se voir et chacun dans la profession pourrait lui demander où se trouve son objectivité…
En tant que journalistes, nous devrions faire très attention à ne pas confondre nos sources et nos désirs de sortir des papiers avant tout le monde. Il en va de la crédibilité des médias en général. Or cette crédibilité ne cesse de se fragiliser face à la course à l’audience et la recherche du scoop ou du travail sur commande.
Il vient de se créer un collectif de journalistes européens dont la règle est de rappeler l’éthique de l’information fondée sur les faits. C’est une excellente idée si tous les journalistes veulent défendre avec passion leur métier.
Nous devons absolument tous nous interroger sur le sens des mots et sur la possible nuisance des interprétations. Nous devons absolument revenir sur l’usage et l’analyse des faits et ne pas céder, comme le rappelle David Pujadas dans le n°31 du magazine Médias, au « panurgisme médiatique ». Imaginons un seul instant, que toutes les informations sur l’affaire du Mediator soient tronquées, partielles ou partiales, ce serait une catastrophe pour notre métier et pour les ministres de la santé depuis 2001 (Kouchner, Mattéi, Douste-Blazy, Bertrand, Bas, Bachelot). La justice doit passer. Espérons qu’elle ne sombrera pas sous les pressions des politiques. Espérons que toute la lumière sera faite. Sinon nous avançons à grands pas vers un Outreau de la santé et du médicament. Et ce sera la fin de notre métier. Définitivement.

Sources :
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20111103.OBS3769/mediator-qui-savait-quoi.html
Magazine Médias, n° 31, hiver 2011, pages 20 à 29
http://www.youtube.com/watch?v=syJU-jwfy0Q&feature=related
http://www.franceinfo.fr/chroniques-a-premiere-vue-2011-09-12-les-suites-du-scandale-mediator-561484-81-342.html
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/114000028/index.shtml
http://www.formindep.org/Le-Mediator-et-apres.html
http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/medicaments-entre-13-000-et-34-000-107530

lundi 2 janvier 2012

Conversation avec mon médecin où j’entends dire que le Mediator a fait moins de dégâts que le Doliprane et quelques autres vérités médicales


Parce qu’il faut bien surveiller son cholestérol, la visite semestrielle était en cette fin d’année incontournable. Après un tout d’horizon de la dernière prise de sang, le mauvais cholestérol, le LDL a trop augmenté. Il faut passer du Crestor 5mg au 20 mg. Le docteur F., mon médecin traitant, est un homme sage, posé. Jamais de médicaments en trop, il lutte contre les demandes d’arrêts maladie abusifs. Il soigne au bon sens, aime-t-il répété. Son bureau est quasiment vide. Aucune publicité, aucun objet promotionnel de tel ou tel laboratoire. Sur une petite étagère, quelques jeux pour les enfants indociles. Une très belle photo noir et blanc de la cote adriatique. Un médecin rassurant qui a déjà 23 ans de pratique derrière lui.
Nous terminons toujours les consultations par une conversation parce que le médecin, reste selon moi, un homme de sagesse, qui soigne les corps et les esprits.
-        Alors le scandale des prothèses mammaires PIP, vous en pensez quoi docteur ?
-        Bof, les chirurgiens font la pose et la dépose. Jackpot pour eux et trou de la sécu pour tout le monde.
-        Mais ils ne savaient pas qu’il y avait des risques ?
-        C’est toujours la question du bénéfice risque, explique-t-il. Tant que le nombre de cas n’est pas significatif (encore faut-il s’entendre sur ce qui est significatif ou non !) on continue. Y a davantage de bénéfices pour les patients, les médecins, la santé publique que de risques. Toute la médecine fonctionne comme cela aujourd’hui. C’est un peu cynique mais ça marche.
-        C’est pareil pour les médicaments ?
-        Absolument. Prenez le Mediator. On m’a dit qu’il ne fallait plus en prescrire. Bon. Je n’en prescris plus. Mais les personnes qui viennent me voir pour maigrir, me demandent de leur prescrire maintenant du Lamictal de GSK qui est un anti-épileptique. Si je refuse, c’est le scandale. Et il y a des scandales car, dans les effets secondaires, il faut bien lire le Vidal !, il est signifié qu’une perte de poids peut survenir, environ 10 kilos. Donc les femmes qui veulent maigrir réclament un médicament avec des effets  conséquents pour l’organisme et tous les médicaments ont des effets secondaires. Si je refuse, elles iront voir ailleurs. Même avec de la pédagogie, ça ne sert à rien et on perd son temps. Alors autant tenter de contrôler la situation. Une personne qui ne parvient pas à bien dormir, on lui donne de l’Aerius, qui est un anti-allergique. Les personnes viennent chez le médecin une fois qu’elles se sont renseignées sur les sites ou les blogs dédiés à la santé. A mon avis, la première bonne idée du Ministère de la santé ce serait de fermer les doctissimo et autres blogs de santé. Je crois que ça présente plus de risques que de bénéfices pour le coup. Et même si ce sont des médecins derrière, encore que !, rien ne vaut le tête-à-tête avec son médecin traitant.
-        Mais comment un médicament peut-il dériver de sa fonction première ?
-        Si on reste sur le Mediator, c’est l’expérience, les notices du Vidal, le partage de connaissances avec d’autres médecins, qui m’ont conduit à prescrire du Mediator comme coupe-faim, c’est-à-dire pour autre chose que ce pour quoi il était dédié. Destiné aux diabétiques, c’est devenu un coupe faim avec des résultats extrêmement modestes au demeurant. J’ai observé des pertes de poids de deux ou trois kilos maximum. Donc vraiment insignifiant. Y a d’autres méthodes pour maigrir…
-        Oui mais j’ai lu ici et là que les laboratoires font pression !
-        Je ne sais pas, je n’ai jamais reçu de visiteurs médicaux. Je n’en ai ni le temps, ni l’envie. Je préfère mon indépendance et beaucoup de médecins généralistes, surtout en province, ont cette attitude. C’est du pur bon sens. Pour les spécialistes, c’est autre chose. Ils sont dans des domaines souvent pointus et ont besoin de soutien. Là, je ne dis pas.
-        Mais alors, comme vous relativisez cette affaire, comment expliquez les 500 à 2000 morts consécutifs au Mediator ?
-        Ah voilà la bonne question ! Tout d’abord ces chiffres sont des probabilités. C’est simple à comprendre. Vous prenez le nombre de boites de Mediator vendues depuis sa mise sur le marché. Vous en déduisez le nombre de patients l’ayant consommé. Vous observez les effets significatifs de la prise du Mediator (et pas conjugué avec d’autres médicaments comme c’est le cas 9 fois sur 10) et vous faites une règle de trois. Le problème, c’est que ce mode de calcul est basique et intellectuellement insatisfaisant. Dans ce cas, si j’applique la même méthode à l’aspirine ou au Doliprane, on pourrait dire comme dans les médias : le Doliprane, depuis sa mise en vente sur le marché, aurait fait entre 5000 et 15000 morts. Et c‘est vrai en plus ! En effet, il y a des effets indésirables graves comme des hépatites fulminantes mortelles. Mais il faut toujours prendre en compte le volume de vente et de consommation. Donc on n’en sait rien ou si peu.
-        Les cardiologues n’ont rien dit sur le Mediator ?
-        Si, on les entend à posteriori. Mais c’est vrai que pendant trente ans, rien.
-        Donc ?
-        Donc il n’y avait rien… Sinon ils auraient fait remonter l’information sur les valvulopathies atypiques. J’ai rien lu dans le Quotidien du médecin ni Panorama du médecin.
-        Si ! j’ai lu que seule la revue Prescrire l’avait signifié assez tôt !
-        Je ne sais pas, je ne connais pas Prescrire. Ce doit être confidentiel et sans doute une publication téléguidée.
-        Et Irène Frachon ?
-        Bof ! On aime bien les Don Quichotte en France. Elle est sympathique, je l’ai rencontré une fois. Mais bon, quand vous lisez son livre, ça ne va pas très loin. Et puis elle a écrit l’année dernière qu’il n’y avait que trois cas cliniques observés. Allez savoir où est la vérité ! Je pense qu’il y a d’autres enjeux derrière mais ça on n’est pas très aidé quand on lit les journaux. On aime les Don Quichotte et les boucs émissaires et Servier est idéalement un bouc-émissaire. Laboratoire pas très connu, management à l’ancienne, travaille beaucoup à l’étranger, gagne beaucoup d’argent, certainement innovant, il suffit de voir les alliances qu’ils signent un peu partout dans le monde, des complicités avec les politiques mais de quel niveau, on n’en sait rien. Il a été décoré par Sarkozy, oui, et par Mitterrand aussi. 1 partout, balle au centre. Ca ne pourrait pas arriver à Sanofi une telle histoire, trop gros, trop important et sans doute d’autres relations plus puissantes… Et puis c’est trop difficile pour les autorités de revenir en arrière. Vous imaginez un ministre de la santé qui a signé le renouvellement de la mise sur le marché du Mediator, déclarer qu’il s’est trompé, quelques mois avant une élection ? Allons, allons, soyons réalistes ! Non moi je défends une industrie pharmaceutique publique, comme cela il n’y aura plus d’histoires.
-        Docteur, il y a des effets indésirables pour le Crestor ?
-        Oui, mais vous les auriez déjà eu. Si vous n’avez rien ressenti, c’est que vous le supportez. Rendez vous dans six mois avec une nouvelle prise de sang.
-        Meilleurs vœux pour 2012 !